Dans une tribune publiée dans le journal Le Monde, près de quatre cent cinquante ancien·ne·s élèves de Polytechnique sortis de l’école ces dix dernières années dénoncent le manque de transparence et les conflits d’intérêts du conseil d’administration. Elles et ils demandent des mesures fortes pour rétablir rapidement la confiance dans la gouvernance de l’établissement. Cette tribune fait suite à la plainte contre Patrick Pouyanné déposée par La Sphinx, Greenpeace et Anticor.

La tribune suivante a été publiée dans Le Monde le 21 mai 2021.
Lire la tribune sur le site du Monde.

Tribune. Patrick Pouyanné, président-directeur général de Total et administrateur de l’Ecole polytechnique, fait l’objet d’une plainte pour prise illégale d’intérêts [déposée le 22 avril par Greenpeace France, Anticor et l’association d’anciens élèves La Sphinx, contre l’implantation d’un centre de recherche et d’innovation de Total au cœur du campus de l’école].

Patrick Pouyanné est intervenu lors d’un conseil d’administration de l’école, où était discuté le projet d’implantation d’un bâtiment du groupe Total sur le campus de l’établissement [sur le plateau de Saclay (Essonne)]. Il a alors exprimé, au nom de Total, une préférence nette pour que le bâtiment de son entreprise soit positionné au centre du campus et non en périphérie. De telles pratiques à la tête d’un établissement public doivent nous interroger.

Nous avons été élèves de l’Ecole polytechnique ces dix dernières années. Nous y avons reçu une formation scientifique de haut niveau, avec une valeur cardinale : servir l’intérêt général. Cet engagement se concrétise par nos carrières à venir, au sein des grands corps d’Etat, des armées, dans les services publics et, de façon plus générale, dans l’ensemble des activités de la nation.

Rétablir la confiance dans l’Etat

Aujourd’hui, la demande d’exemplarité de la part de la haute administration publique est forte. Celle-ci doit commencer dans les lieux de formation des futurs cadres, parmi lesquels l’Ecole polytechnique. Or, les dernières révélations sur la gouvernance de l’école ne sont pas à la hauteur de ces attentes légitimes. Le comportement de Patrick Pouyanné lors du conseil d’administration pose question : servait-il les intérêts de l’établissement ou ceux de son entreprise ? Par sa prise de position, il sème un doute sur l’impartialité des décisions et abîme la confiance que l’on peut avoir dans cette instance de gouvernance.

En tant que jeunes diplômés, nous estimons qu’il est urgent de réagir avec des actes forts afin de rétablir cette confiance, clé d’un fonctionnement sain de l’institution, plutôt que de laisser perdurer cette situation qui contribue à la défiance généralisée des citoyens envers l’Etat.

Premièrement, nous appelons à la démission de Patrick Pouyanné de son siège au conseil d’administration de l’Ecole polytechnique. Il nous semble évident qu’il n’a plus la confiance nécessaire pour que le conseil d’administration continue de fonctionner sereinement en sa présence.

Deuxièmement, nous appelons les membres du conseil d’administration à revenir sur leur décision d’autoriser Total à s’implanter sur le campus de Polytechnique. Ce projet a fait l’objet d’une longue controverse. Les derniers éléments montrent que Patrick Pouyanné s’est exprimé sur le projet en tant que PDG de Total dans le but de le faire aboutir, alors qu’il est administrateur de l’Ecole, ce qui aurait dû l’obliger à se déporter totalement du dossier.

Laisser perdurer cette décision serait un message regrettable qui reviendrait à tolérer de tels agissements. L’annulation du projet nous semble une étape nécessaire pour repartir sur des bases saines et rétablir durablement la confiance dans le conseil d’administration de l’X.

Troisièmement, et à plus long terme, nous appelons le ministère des armées, organe de tutelle de Polytechnique, à se saisir de la question de la gouvernance de l’institution. Il est temps d’instaurer plus de transparence, tant pour la nomination du président de l’école que dans les débats de son conseil d’administration.

Une demande d’exemplarité

Nous dénonçons notamment le refus de la direction de rendre publics les procès-verbaux du conseil d’administration, alors que la loi rend leur communication obligatoire. Il conviendrait également d’instaurer des mécanismes de prévention des conflits d’intérêts, afin d’éviter qu’une telle situation ne se reproduise.

La gouvernance de l’Ecole devrait en outre laisser plus de place aux membres académiques, à l’instar des établissements comparables à l’international. L’X se doit d’avoir une gouvernance digne de l’établissement scientifique de rang mondial qu’elle veut être.

Enfin, nous nous adressons à nos camarades, de toutes les générations. Ces scandales viennent entacher l’image de notre école. Il nous appartient de demander des changements, et d’accompagner Polytechnique vers l’exemplarité attendue de la part d’une institution dont la vocation est de former des serviteurs de l’Etat.

➡️ Voir la liste des signataires sur le site du comité de mobilisation

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