Le 23 février dernier, le journal Challenge publie un article annonçant qu’un cabinet de chasseur de tête avait été recruté pour trouver un successeur à Jacques Biot en tant que président de l’École polytechnique. Le 25 février, ce même Jacques Biot, envoyait à l’ensemble du personnel de l’école un correctif où il n’écarte pas la possibilité d’entamer un second mandat. Que faut-il comprendre de ces annonces contradictoires, pourquoi faut-il s’y intéresser ?
Pour comprendre la situation actuelle, il nous faut revenir en 2012, date à laquelle a été bouleversée la direction de l’École polytechnique. En effet, l’École était jusqu’alors sous l’autorité du directeur général, militaire de carrière, en charge du fonctionnement opérationnel quotidien et en même temps de la stratégie à long terme de l’École. Cette structure de direction était alors jugée trop peu adaptée aux nouvelles ambitions internationales de l’École. Les pouvoirs du conseil d’administration furent alors renforcés, avec à sa tête le nouveau poste-clé de la gouvernance de l’X : la présidence exécutive. Le nouveau cadre législatif décrit le président idéal comme une « personnalité justifiant d’une compétence scientifique dans les domaines d’activité de l’école ou ayant une expérience de l’enseignement supérieur ou de la recherche », et limite le mandat à 5 ans renouvelables.
C’est Jacques Biot, X-Mines, ancien lobbyiste du domaine pharmaceutique et président de l’École des Mines d’Alès, qui a été choisi pour occuper ce tout nouveau poste à compter du 1er juillet 2013. Mais le président ne décide pas tout seul des orientations stratégiques. Il applique les décisions du conseil d’administration qui suivent les indications émises par la tutelle de l’École, c’est-à-dire le ministère des Armées. Le document qui formalise ces indications est appelé « Contrat d’Objectifs et de Performance » (COP). En 2012, juste avant la prise de fonctions de Jacques Biot, le ministre des Armées Jean-Yves le Drian définit un premier COP pour l’École, couvrant la période 2012-2016, avec des objectifs clairs :
- Engagement dans la construction de Paris-Saclay ;
- Prise du virage de l’entrepreunariat ;
- Diversification et augmentation des sources de revenu de l’École.
Durant son mandat de 5 ans, le président Biot exécute fidèlement la mission définie dans le COP par la tutelle, si bien que le nouveau COP 2017-2021 le crédite d’être allé « au-delà de ses engagements ». Il est clair que la réforme de la gouvernance de l’X a bien débouché sur le virage de l’entreprenariat et l’amélioration des liens avec le monde professionnel voulus par la tutelle. Cependant, alors que le mandat de Jacques Biot touche à sa fin, la question du renouvellement se pose. S’il venait à effectuer un nouveau mandat, Jacques Biot serait atteint par la limite ne pourra effectuer qu’une moitié de mandat, car le poste de président est astreint par les règles de la fonction publique à une limite d’âge de 67 ans.
Comme prévu par le cadre législatif, un appel à candidatures a été publié au Journal Officiel, avec une date limite de dépôt au 31 mars. Ce que révèle l’article de Challenges, c’est que le ministère des Armées a décidé de mandater un cabinet de chasseurs de têtes, HRM, afin d’identifier des candidats pour prendre la succession de Jacques Biot. Ce recours à un cabinet privé, en plus de son caractère inhabituel, se fait selon les déclarations du président d’HRM, « sur la base d’un cahier des charges et selon des modalités qui restent à définir ». Récapitulons : le 22 février, le décret d’avis de vacance donne un mois à d’éventuels candidats pour se déclarer. En parallèle, la tutelle fait appel à un cabinet de recrutement privé tout en ne lui spécifiant aucun cahier des charges pour le futur président de l’École. Nous pensons que ce processus de recrutement opaque nuit au débat nécessaire sur l’orientation stratégique de l’X pour les années à venir.
En effet, l’emploi d’un cabinet de chasseurs de tête signifie que la tutelle portera son choix sur le profil proposé par HRM. Ceci empêche de voir émerger plusieurs candidatures au profils différents et de voir s’affronter lors d’un débat public plusieurs visions pour l’avenir de l’École. Au lieu d’être l’occasion d’une discussion sur les objectifs et orientations imposées par le COP, une désignation directe par cabinet interposé ne fera que renforcer l’ambiguïté de l’École sur des sujets pourtant importants.
Par exemple, le COP 2012-2016 vantait l’intégration de l’X au sein de Paris-Saclay, nouvel établissement public regroupant grandes écoles et universités. Il en va de même dans le COP 2017-2021, publié exactement un an avant que l’École annonce sa sortie fracassante du dispositif, entérinée par Emmanuel Macron, en décembre 2017. Comment se positionnera le nouveau COP face à cela ? De plus, la toute dernière annonce de la création de NewUni, regroupement de grandes écoles sous tutelle du ministère des Armées, sera-t-elle critiquée ou louée par le prochain contrat ?
De même, en 2015, suite au rapport du député Cornu-Gentille qui pointait la lacune juridique concernant le remboursement de la pantoufle par les élèves français, celle-ci a été rétablie à partir de la promotion X2015, ce dont se félicite la tutelle dans le COP 2017-2021. Ceci signifie que les élèves n’intégrant pas les corps d’État à la sortie de l’École ou n’effectuant pas 10 années au service de l’État, auront à rembourser l’équivalent de 30 000 € pour leurs frais de scolarité. Comment concilier cette pantoufle avec la volonté affichée de l’École d’encourager l’entrepreneuriat et l’insertion professionnelle ? Ces questions essentielles seront déterminantes pour l’avenir de l’École.
Afin de susciter une véritable réflexion sur les sujets de stratégie de l’École, il est nécessaire que sa présidence soit remise en jeu d’une manière transparente, qui permet à des opinions contradictoires de s’exprimer, quitte à ce que le législateur tranche. Or, le mandat d’un cabinet de chasseurs de tête nous semble incompatible avec un tel processus, et même contraire à l’esprit de la loi qui appelle à des candidatures ouvertes. C’est pourquoi nous le réprouvons.
Nilo Schwencke pour la Sphinx