Avec le consentement de son auteur, la Sphinx vous propose de retrouver le discours de Dhruv Sharma qu’il a prononcé le 4 juin 2018 lors de la remise des diplômes de la promotion X2013. L’intégration, qui est le thème de ce discours, est une question particulièrement pertinente à l’École polytechnique qui accueille tous les ans plus de 100 élèves internationaux dans son cycle ingénieur.

L’intégration. En tant qu’étudiant international à l’X, ce mot définit et continue de définir mon expérience en France.

C’est un étrange mot, l’intégration : personne ne le définit pour vous, et pourtant vous êtes censé vous conformer à une certaine notion d’intégration, tacite et non-dite. Même si personne ne le définit pour vous, les gens à qui vous parlez savent que vous devez « vous comporter d’une certaine manière ».

Je suis arrivé ici il y a 5 ans sans parler un mot de français. Au cours d’un long stage linguistique, la première chose qu’on nous a dite était de « s’intégrer ». Et la première étape était d’apprendre le français. Avec l’aide du merveilleux groupe d’enseignantes Anne, Marion, Sophie, dirigé par Valérie, j’estime que j’ai réussi à bien me débrouiller.

Une fois passée la nervosité et l’angoisse des premiers jours, je me suis demandé : serai-je bien intégré ?

Après environ un mois, j’ai commencé à comprendre comment les choses se structurent à l’X : tout le monde a un rôle spécifique, et les étudiants internationaux reçoivent également un label : EV2. Cette étiquette vous suit pour les deux prochaines années comme une marque. Parce que, quoi que vous fassiez, votre identité est définie par cette étiquette. Pas de votre propre gré, mais par quelque chose qui vous est imposé de l’extérieur.

Par exemple, il n’est pas rare que les gens décrivent les étudiants internationaux comme « tel EV2 de telle section » ou « notre EV2 ». Vous n’êtes pas connu par votre nom, pas par votre apparence physique, vos talents, mais par cette étiquette : EV2.

Paradoxalement, ce n’est que lorsque vous essayez d’échapper à cette étiquette que vous êtes bien intégré. Certains réussissent et d’autres non. Ceux qui ne le font pas sont relégués au second plan. Donc, être un EV2 devient aussi la recherche d’un échappatoire à cette aliénation.

Quitter le campus est un moment pour sortir de ces chaînes invisibles. Pour ma part, je me suis retrouvé à l’École Normale de Paris. Ce n’était pas seulement le moment d’avoir des escapades rapides au Jardin du Luxembourg mais aussi de réfléchir sur deux ans passés dans cette école étrange mais unique, l’X. Avec le recul, j’ai compris la différence entre ces deux grandes écoles, que je résume ainsi : l’X forme des cadres, l’École normale, des radicaux.

C’est cet esprit radical de l’École Normale qui m’a immédiatement fait sentir chez moi un sentiment d’appartenance. Et j’en suis venu à mieux me connaître : je suis un esprit radical, sans entraves, ne voulant pas être limité par les règles ou par une quelconque autorité. Peut-être cela explique-t-il ma prédisposition pour la recherche ? Toutefois, c’est justement l’encadrement rigoureux de l’X qui m’a permis de découvrir ce trait de ma personnalité.

Au cours de cette quatrième année, un nouveau label m’a été attribué. Une nouvelle étiquette m’a été conférée. Dhruv en tant qu’individu est remplacé par Dhruv le polytechnicien.

C’était par besoin de mes libérer à ces étiquettes que j’ai décidé de travailler avec des jeunes adultes et partager avec eux mon amour de la science. Avec eux, je ne suis pas un X, je ne suis pas un EV2, je suis seulement le monsieur qui leur expliqué la science à travers des expériences marrantes avec de l’azote liquide.

Après ces échanges fascinants à la Cité des sciences, je me demande souvent : comment le pays des Lumières peut-il réduire les gens à de simples étiquettes ? Mais l’X n’est pas seulement un label. Venu d’une autre institution en Inde, bien que 100 ans plus jeune que l’X, je comprends que des telles institutions puissent occuper une place particulière dans l’imaginaire populaire. Parce que l’X représente quelque chose au-delà des classements mondiaux, au-delà des nouveaux campus, au-delà de ses startups. Parce que l’histoire de l’X est aussi l’histoire de la France. Parce que l’X fournit un cocon protecteur loin de Paris pour étudier avec quelques-uns des meilleurs esprits de votre génération et comprendre, comme un modèle jouet, les réalités du monde réel.

Néanmoins, être polytechnicien présente également des avantages remarquables : la négociation sur le marché du logement vient à l’esprit. Mes camarades vivant à Paris  comprendront cela plutôt bien. Et l’on n’est jamais seul : l’AX est présente, la FX aussi, pour nous guider lors de nos premiers pas en sortant du cocon, pour naviguer dans le monde.

Alors, comment peut-on commencer à résumer ces quatre années ? Difficilement. Au-delà du processus d’intégration, ce sont les liens que j’ai tissé au cours de ces années qui me suivent même à l’extérieur du campus. C’est en me rappelant de ces liens que le cœur s’émeut quand je reviens sur notre cher plâtal. J’ai pu partager les moments joyeux de mes camarades, et eux les miens. La question de l’intégration est toujours présente comme l’épée de Damoclès, mais on finit par en faire la paix. Des questions seront toujours posées et toutes ne peuvent pas trouver une réponse.

Après deux ans d’absence du campus, j’ai finalement réalisé que cette question d’intégration ne m’appartenait pas, mais c’est un titre qui m’est donné. Je vous demande donc, Mesdames et Messieurs, « suis-je bien intégré ? ».

Dhruv Sharma

 

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